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PROSPECTIVE Quatre scénarios, étonnants ou inquiétants pour la filière laitière

Dans les quatre scénarios, les exploitations de grande taille avec main-d'oeuvre salariée sont majoritaires avec plus ou moins d'intensification en capital.© DENIS PAILLARD

C'est un travail de FranceAgriMer annoncé très sérieux, mais qui peut laisser pantois. L'élevage laitier de 2030 se présenterait sous forme de grandes exploitations très intensives en capitaux à côté de modèles agroécologiques destinés aux marchés de proximité. Les proportions sont variables selon les scénarios.

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Début juillet, le conseil spécialisé lait de FranceAgriMer livrait un travail de prospective sur la filière laitière française à l'horizon 2030. Quatre-vingt-deux hypothèses jugées les plus déterminantes ont permis d'isoler quatre scénarios d'évolution de la filière. Si certains peuvent paraître réalistes, d'autres explorent des possibilités aujourd'hui très étonnantes. « Une prospective n'est pas une prévision. Ce n'est pas non plus de la science-fiction. Nous avons écrit des "histoires" qui pourraient se mettre en place dans le long terme. Aux acteurs de la filière de se servir de ces éléments pour agir. Si la filière semble s'engager dans un scénario, on peut décider de l'inverser ou d'y rester », insiste Patrick Aigrain, chef du service « évaluations, prospectives et analyses transversales » chez FranceAgriMer. Les quatre scénarios abordent tous les mêmes grandes hypothèses : l'évolution des marchés en fonction de la demande des produits laitiers, la dérégulation totale ou la maîtrise des volumes par les OP, mais aussi des hypothèses qui nous sont moins communes comme l'apparition de nouvelles épizooties, le poids des lobbies antilait, la disparition des distributeurs...

SCÉNARIO 1 : LAIT HIGH-TECH ET DÉMONDIALISATION

Les pays importateurs d'aujourd'hui ont développé leur propre filière de production laitière afin d'être autonomes vis-à-vis d'une Europe laitière fragilisée par de nouvelles épizooties (de type FCO ou Schmallenberg). Les transformateurs français exportent leur savoir-faire en implantant des usines au plus près des consommateurs de ces pays émergents. Ils font aussi valoir leur maîtrise technologique innovante (craking.) pour exporter des poudres high-tech sur les marchés internationaux. L'offre et la demande s'équilibrent entre une consommation en PGC qui reste stable, des exportations de produits industriels de seconde transformation, et une production européenne atténuée par des problèmes sanitaires.

En France, deux types d'exploitations laitières coexistent. D'une part, un modèle dominant de grandes exploitations très spécialisées, alliant développement du salariat, généralisation de l'automatisation et achat de l'alimentation. Il est soutenu par des investissements extérieurs à la filière : des coopératives céréalières qui assurent leurs débouchés et d'autres financiers, rassurés par la cohérence de l'organisation des producteurs. D'autre part, un modèle minoritaire d'exploitations familiales dispersées sur le territoire, ancré dans l'agro-écologie, approvisionne des marchés de proximité. Il est soutenu par des politiques d'aménagement qui mobilisent les aides du second pilier de la Pac.

SCÉNARIO 2 : LA SPIRALE CONCURRENTIELLE

Renforcée par la crise économique qui persiste et les discours antilait, la consommation de produits laitiers en Europe baisse. Elle est en partie compensée par une progression de la demande dans les pays émergents. Sans régulation de l'offre, la collecte laitière est en hausse depuis la fin des quotas. S'enclenche alors une baisse des prix à la production que seules les exploitations les plus performantes peuvent supporter. Par ailleurs, les consommateurs réalisent leurs achats alimentaires quasi exclusivement via internet. La grande distribution, qui n'a pas anticipé ce basculement, s'effondre au profit de transformateurs-distributeurs plus aptes à maîtriser la logistique nécessaire à ce nouveau mode de consommation. Dans le monde, le changement climatique concentre la production laitière dans les pays tempérés. Les industriels laitiers européens les plus performants renouent avec une stratégie « coûts/volumes » et la concentration des outils industriels s'accélère. Cette course à la taille pour s'imposer sur les marchés aboutit à une entente tacite entre un petit nombre d'acteurs survivants. Ces géants transformateurs-distributeurs encouragent la création de grandes fermes spécialisées proches des sites de transformation et participent à leur capitalisation. Le nombre d'exploitations en France s'est effondré et la ferme des 1 000 vaches devient la norme.

SCÉNARIO 3 : UNE FILIÈRE RÉGULÉE ET CONQUÉRANTE

Dans un climat économique plus serein en Europe, la consommation de produits laitiers est relancée avec de nouveaux consommateurs attentifs aux produits de tradition, à l'étiquetage environnemental et au respect du bien-être animal.

Les grands pays importateurs ont développé leur propre production laitière pour devenir autonomes et les industriels européens s'y implantent en amenant leurs technologies.

Dans le même temps, l'Europe, qui a su maîtriser ses maladies émergentes, exporte des produits industriels innovants à haute valeur ajoutée.

En France, le développement des achats sur internet fait que les transformateurs ont intégré la distribution jusqu'aux consommateurs. Dans ce nouveau contexte, le rapport de force entre producteurs et transformateurs est mieux organisé au sein de l'interprofession. La volatilité des prix est aussi maîtrisée grâce à des organisations de producteurs puissantes et aux coopératives. L'interprofession encadre cette volonté de régulation. En France, la concentration et l'intensification des exploitations se poursuivent dans les grands bassins laitiers. La robotisation et le salariat s'y développent avec, parfois, la participation de capitaux extérieurs.

Un second modèle d'élevage plus confidentiel s'installe. Familial, orienté sur l'agro-écologie, il valorise des produits à forte identité. Il est aussi soutenu par les politiques publiques.

SCÉNARIO 4 : LE DÉFI ET LA RÉGRESSION

Le discours antilait et anti-élevage se généralise et conduit à un ralentissement très net de la demande européenne. Les pays émergents ont développé leur production laitière et désormais, les exportations de produits industriels ne compensent pas l'excédent de la production

européenne. Le prix du lait baisse à un niveau insupportable pour les exploitations spécialisées. La distribution, qui s'est adaptée aux nouveaux modes de consommation, conserve une partie confortable de la valeur ajoutée. Face à cette situation, les OP organisent une réduction de la production. Elles cherchent aussi à capter de la valeur ajoutée en répondant aux exigences accrues des consommateurs. Mais le prix du lait reste très volatil et peu de jeunes agriculteurs s'installent dans le secteur du lait. La course à la spécialisation laitière s'arrête au profit d'exploitations de grande taille en SAU, plus autonomes en fourrage.

DOMINIQUE GRÉMY

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